François Benoît

Tout d’abord, comment en vient-on à « con-sacrer » au diable un temps de sa vie, un espace, des mots et la matière des mots ? Pour moi, tout a commencé par la télévision, alors l’ORTF, qui m’a introduit aux mystères en noir et blanc du Très Bas, le pendant du Très Haut ainsi que nous le présente Huysmans. J’ai eu la chance de regarder « La Beauté du Diable » (1950) – le film de René Clair (1898-1981) – qui associe les figures interchangeables de Michel Simon et de Gérard Philippe dans le rôle de l’humain en quête d’infini et dans le rôle du Diable faisant miroiter à l’infini cette tentation. C’est par ce film que, encore enfant, j’ai fait la connaissance du Faust de Goethe et du Diable comme introduction à l’existence du mal et à la place du mal dans l’existence. C’est par la mouvance des frontières, entre ce qui est acceptable ou ne l’est plus, que se fissure le confort que nous apportait la certitude du Bien. Pour ce qui touche à la sculpture, la représentation du Diable et de ses affidés porte des formes connues et cornues dans un bestiaire codifié. A vrai dire, elles sont, permettez-moi le mot, faciles, comme pain béni et, en ce sens, j’ai souvent suivi la piste du Diable qui fournit des modèles passés dans les classiques.
Celui qui se fait passer pour le Diable et dont on voit pointer le nez dans Faust, nous l’avons voulu situer sur l’échelle des vices et des vertus. Car c’est d’abord, sans vouloir lui faire offense, un personnage de théâtre, il lui faut bien affronter sa vérité. Dans ce cas-là, nous avons affaire à un supplétif de l’action divine, un Diable dans la lignée du serviteur du Dieu de l’Ancien Testament ; il s’agit d’un démon-épicier prêt à s’acoquiner avec un mortel pour négocier un contrat …, un contrat ! Quelle déchéance, ce diable procédurier à la Balzac, reflet d’une société où règnent les comptables et les marchands. Qui risquerait le ridicule de respecter ce Diable-là ? Qui croirait, en toute bonne Foi, que le Seigneur des Ténèbres est celui même qui persifle auprès du Créateur et ironise le petit Dieu du monde ? Et ce contrat ? Un diable tenu par un serment, ce n’est pas sérieux, les vices et les vertus d’un marchand sont les vices et vertus de tout un chacun, … en qui l’on sait que sommeille le bourgeois, depuis toujours. Et nous y voilà, le Diable de Faust est un diable bourgeois, création de l’homme, à son image. Si le Diable est un personnage littéraire plutôt accommodant, le Mal, permanent et abyssal dans son essence, ne revêt pas de costume. Certains lui prêtent la personnalité de Lucifer, le Porteur de lumière, Lucifer saisi par le vertige de la possibilité inouïe du mal et par la tentation d’en être l’inventeur, le maître, à l’égal de Dieu : c’est « la faute originelle et ultime ». A tous les érudits en textes théâtraux et lecteurs assidus de la Bible, il n’aura pas échappé le parallélisme de deux textes majeurs : le Livre de Job et le Faust de Goethe. Le grand Goethe s’est inspiré du Livre de Job, qui est la référence à Satan de l’Ancien Testament. Les deux textes commencent par un prologue au ciel. Yahvé reçoit à sa cour et pose des questions sur son Serviteur dévoué, Job. Satan déclare que la foi de Job est fragile, qu’il reçoit les bienfaits de Dieu sans avoir à prouver sa foi. Yahvé consent à mettre Job à l’épreuve.
François Benoît